Santé numérique et digitalisation, la tendance se poursuit
Alors que la pandémie de Covid-19 a considérablement accéléré la digitalisation du secteur de la santé, de nouvelles questions se posent quant aux changements apportés par les acteurs nouveaux de la santé numérique sur l’organisation et le modèle des services de santé actuels.
Le rythme de digitalisation de ce secteur devrait s’accélérer au cours des deux prochaines années, avec des innovations à venir mais également des problématiques accrues notamment en ce qui concerne la réduction des coûts et l’accès au soin.
Éclairage avec les données du rapport de Dealroom.co sur le sujet.
Le coût de l’accès aux soins continue d’augmenter
Selon un rapport fourni par Dealroom, le secteur de la santé fait face à une problématique double : l’augmentation des coûts ainsi que le poids croissant des affections telles que les maladies chroniques, le vieillissement de la population, le diabète, etc.. Selon le rapport de Dealroom, le secteur de la santé souffre d’un retard significatif en matière de digitalisation qui permettrait pourtant des baisses de coûts substantielles.
La frontière digitale est là, mais difficile à franchir pour le moment pour des raisons principalement structurelles, en particulier pour tout ce qui touche à la réglementation des systèmes de remboursement des soins, qui demeure complexe et ralentit le processus de digitalisation.
De manière plus large, on observe globalement une dichotomie entre un système aux besoins identifiés et basé sur la dépense, et un accès au soin souvent inégalitaire ainsi qu’un manque de transparence.

Ali Parsa, CEO de la start up britannique Babylon Health (Crédit photo : DR)
« L’accès aux soins est fragmenté. Malgré des milliers de milliards de dollars dépensés chaque année, la moitié de la population n’a pas accès aux soins, et 100 millions de personnes sont plongées dans la pauvreté en raison des frais pour accéder aux soins », explique Ali Parsa, CEO de Babylon, l’une des start ups de télémédecine à la croissance la plus rapide en Europe. « Près de 70% de l’argent dépensé dans la santé va dans des affections que l’on peut prévoir et prévenir. Le fait de repérer un problème assez tôt pourrait coûter 10 dollars au lieu de 4.000 si repéré trop tard. »
« L’accès aux soins est fragmenté : malgré des milliers de milliards de dollars dépensés chaque année, la moitié de la population n’a pas accès aux soins »
Mieux contrôler les dépenses
Selon le rapport de Dealroom, la digitalisation de l’organisation des infrastructures de santé offre une marge importante d’amélioration. Aux États-Unis on estime à 25 à 30% le montant de dépense perdue, pays où 70% des hôpitaux ont encore recours aux fax et aux tâches administratives manuelles.
De manière plus globale, les frais déboursés par le patient (sans remboursement) et les mutuelles de santé comptent pour moins de 20% de la dépense de santé dans la plupart des pays développés, avec 10% aux États-Unis, et 15 à 20% dans la plupart des pays européens. Le reste est remboursé par les systèmes de santé publiques ou les assurances privées obligatoires. Dealroom souligne que le patient a finalement peu de marge d’action et d’influence sur les problématiques structurelles de santé, mais souligne le fait qu’il est en avance dans sa vie quotidienne pour tout ce qui touche à la digitalisation et à la transformation numérique globale dans la société. Le patient recherche le même type de solutions dans ses problématiques de santé que dans les autres domaines de sa vie au quotidien souligne le rapport : « le consommateur a les mêmes attentes en matière de digitalisation dans la santé que dans les autres domaines de sa vie dans l’accès aux soins et les solutions apportées. »
Ces attentes créent un espace pour les acteurs technologiques, permettant au passage de réduire les pertes en termes de coût et d’améliorer les processus de prise en charge du patient. Aux États-Unis, on estime à 500 milliards de dollars les économies potentielles que le numérique pourrait permettre de réaliser au système de santé américain.
« Pouvoir rencontrer un patient via la vidéo ne signifie pas voir plus de patients pour le praticien. En 2016, l’OMS a chiffré à 5 millions le nombre de professionnels de santé dans le monde, et a prévu une augmentation exponentielle de ce nombre, qui devrait atteindre 18 millions en 2030. Et c’était avant le COVID-19. Nous avons besoin de la technologie pour soigner beaucoup, beaucoup plus de gens que nous en sommes capables actuellement. Mettre au point ce type de technologie n’est pas simple et nécessite une combinaison entre savoir médical, des montants de données immenses et de prendre en compte chacun selon le pays dans lequel il vit ainsi que la démographie locale. C’est la raison pour laquelle nous exploitons le pouvoir de l’IA afin d’accroître l’accès aux soins, mettre davantage d’informations entre les mains du public, assurer une action en amont pour pouvoir intervenir et par conséquent améliorer les performances des traitements et aider à réduire les coûts », poursuit Ali Parsa.
« En 2016, l’OMS a chiffré à 5 millions le nombre de professionnels de santé dans le monde, et a prévu une augmentation de ce nombre qui devrait atteindre 18 millions en 2030 »
L’écosystème de e-santé global à la recherche de solutions d’optimisation
L’écosystème des start ups globales de la santé numérique joue un rôle actif pour apporter des solutions concrètes à ces problématiques communes qui touchent les systèmes de santé dans les pays occidentaux : accroissement des dépenses, système sous tension, nouveaux besoins en termes de santé publique, etc.. Les besoins se situent principalement au niveau organisationnel et opérationnel, sur des enjeux aussi vastes que la sécurisation de dossier du patient, la prescription en ligne, la coordination de l’équipe médicale, mais aussi le confort du patient, la chirurgie robotique ou la prise de décision clinique basée sur l’IA.
Des champions globaux ont émergé dans cet espace comme Surgical Robotics (levée de 240 millions de dollars en Série C), Décision Support (110 millions de dollars en série F), Drug Discovery with AI (90 millions d’euros levés), Health Insurance (66 millions de dollars en série D). Un écosystème solide est en train de se dessiner rapidement en raison des forts leviers d’investissement dans le secteur.
En Europe, les start ups spécialisées dans la e-santé sont valorisées au total 41 milliards de dollars, contre 8 milliards en 2016. En 2020, l’écosystème global a levé 14 milliards de dollars. Les investisseurs sont friands d’innovations, en particulier dans les domaines de l’interopérabilité des données, de la santé mentale ou des soins personnalisés.
D’après l’institut spécialisé dans les études sectorielles Xerfi, les spécialistes des cabinets médicaux virtuels seraient par ailleurs « les mieux placés pour jouer les pilotes de ces écosystèmes en devenir. »
La femtech présente également de nombreuses opportunités selon le rapport de Dealroom, avec des solutions qui permettent de répondre aux problématiques autour de la fertilité ou de la grossesse par exemple; mais qui jouent surtout un rôle pédagogique dans l’approche sociétale des questions de santé touchant les femmes souvent considérées comme des tabous.
L’espace B2C a connu une croissance plus rapide que le B2B, qui présente des opportunités intéressantes mais met plus de temps à aborder le virage du numérique.
Les défis demeurent cependant nombreux pour les acteurs technologiques de la e-santé. La santé demeure un secteur sensible aux problématiques diverses et dans lequel il existe davantage de risques comparé aux autres secteurs. Selon Dealroom, la santé fait face actuellement à 3 défis principaux : « la réglementation », « le remboursement », et « l’inertie du système ».

« Le plus gros défi de scaling que j’ai constaté jusqu’à aujourd’hui concerne le fait de vendre un produit totalement nouveau sur un marché lourdement réglementé et conservateur. De nombreuses questions se posent pour savoir qui bénéficie de l’utilisation de l’IA, qui paye pour ça et si c’est quelque chose de fiable », explique Mark-Jan Harte, cofondateur et CEO de Aidence, start up d’aide à la décision clinique fondée en 2015.
« Le plus gros défi pour l’assurance de santé numérique vient du côté de la réglementation en raison de sa complexité et du délai nécessaire pour obtenir une autorisation auprès des organismes de régulation », commente pour sa part Julian Teicke, fondateur et CEO de Wefox, start up spécialisée dans l’insurtech et fondée en 2015.
« Le plus gros défi de scaling que j’ai constaté jusqu’à aujourd’hui concerne le fait de vendre un produit totalement nouveau dans un marché lourdement réglementé et conservateur »
La crise sanitaire a également permis au secteur de la santé d’aborder le virage du numérique et d’accélérer l’adoption des solutions digitales, déployées en urgence durant la pandémie. La télémédecine a été le secteur qui a le plus émergé durant la crise sanitaire.
La pandémie aurait également poussé les opérateurs à « envisager de nouvelles alliances et favoriser ainsi les mouvements de décloisonnement entre les secteurs d’activité », selon Xerfi.
Selon BPI France : « le secteur de la santé connait une (r)évolution depuis plusieurs années. La crise du Covid-19 semble l’accélérer, avec des processus de décisions raccourcis, et des méthodes de travail bousculées. »
Le défi désormais sera de pérenniser ce boom de l’innovation en santé, et de faire de la digitalisation un acteur à part entière des processus organisationnels du secteur de la santé, sur un marché global qui devrait continuer de croître, en particulier en Europe.
« La pandémie a accéléré l’adoption des solutions digitales dans la santé. Cette dynamique devrait se maintenir, ces solutions étant vitales pour rendre la santé plus accessible, dans les zones rurales, ou pour les personnes âgées ou malades », explique Kurt Höller, Directeur de Création d’Entreprise chez EIT Health, association globale réunissant des acteurs du domaine de la santé.
Source: https://www.lesnumeriques.com/pro/l-e-sante-un-marche-mondial-en-ebullition-a172011.html